Dans la course à la décarbonation, une entreprise française basée près de Bordeaux s’apprête à franchir une étape décisive. Spécialisée dans la deeptech, Dioxycle développe une technologie de pointe visant à transformer le dioxyde de carbone, principal responsable du réchauffement climatique, en une ressource chimique à haute valeur ajoutée. L’objectif est clair : déployer un démonstrateur à l’échelle industrielle dès 2025 pour prouver la viabilité économique et écologique de son procédé innovant. Cette initiative pourrait redéfinir la gestion des émissions pour les industries les plus polluantes, en convertissant un passif environnemental en un actif stratégique.
Innovation technologique : l’électrocatalyse au service de l’environnement
Au cœur du projet de Dioxycle se trouve un procédé chimique sophistiqué mais dont le principe est fondamentalement élégant : l’électrocatalyse. Cette approche consiste à utiliser l’électricité, de préférence d’origine renouvelable, pour déclencher des réactions chimiques qui ne se produiraient pas spontanément. En l’occurrence, il s’agit de briser les molécules de CO2 et d’eau pour les recombiner en de nouveaux composés utiles.
Le principe de l’électrolyseur à haute température
La technologie développée par l’entreprise repose sur un électrolyseur fonctionnant à haute température. Ce choix n’est pas anodin : opérer à des températures élevées permet d’accélérer considérablement les réactions chimiques et d’améliorer l’efficacité énergétique globale du système. Concrètement, le CO2 capté à la sortie des cheminées d’usine est injecté dans l’électrolyseur où, sous l’effet d’un courant électrique et de catalyseurs spécifiques, il est transformé. L’innovation réside dans la capacité à réaliser cette conversion avec une grande sélectivité, c’est-à-dire en produisant précisément les molécules désirées avec un minimum de sous-produits.
Des produits chimiques à forte valeur ajoutée
Le potentiel de cette technologie est immense, car elle permet de produire des briques élémentaires essentielles à l’industrie chimique. Plutôt que d’être relâché dans l’atmosphère, le CO2 devient une matière première pour fabriquer des produits indispensables à notre économie. Parmi les composés que Dioxycle peut générer, on trouve notamment :
- L’éthylène : un composant de base pour la fabrication de nombreux plastiques, comme le polyéthylène.
- Le monoxyde de carbone (CO) : un gaz de synthèse utilisé dans de multiples procédés industriels, notamment pour produire des carburants ou d’autres produits chimiques.
- Les acides formique et acétique : des produits chimiques utilisés dans l’agriculture, l’industrie textile ou comme conservateurs.
Ces substances, traditionnellement issues de la pétrochimie, pourraient ainsi être produites de manière beaucoup plus durable.
Un avantage compétitif décisif
Face à d’autres technologies de captage et de valorisation du carbone (CCU), l’approche de Dioxycle présente un avantage majeur : son efficacité énergétique et sa compacité. En intégrant le procédé directement sur les sites industriels, l’entreprise évite les coûts et les complexités logistiques liés au transport et au stockage du CO2. Cette intégration sur site ouvre la voie à une décarbonation pragmatique et économiquement attractive pour les industriels.
Le développement et le déploiement d’une technologie aussi avancée nécessitent des moyens financiers considérables pour passer du laboratoire à l’échelle industrielle.
Un financement ambitieux pour soutenir le développement durable
La transition d’un concept prometteur à une réalité industrielle est un parcours semé d’embûches, où le soutien financier joue un rôle de premier plan. Dioxycle a su convaincre de la pertinence de sa vision et de la robustesse de sa technologie, réussissant à mobiliser les capitaux nécessaires pour concrétiser ses ambitions.
Une levée de fonds significative
L’entreprise a récemment annoncé avoir bouclé un tour de table de plus de 15 millions d’euros. Cette levée de fonds a été menée par un consortium d’investisseurs spécialisés dans les technologies propres et l’innovation de rupture. Cet apport financier est une marque de confiance forte dans le potentiel de l’électrocatalyse pour répondre aux enjeux de la décarbonation industrielle. Ces fonds sont spécifiquement fléchés vers l’accélération du développement et la construction du premier démonstrateur industriel.
Les étapes clés du développement
Le financement obtenu va permettre à Dioxycle de franchir plusieurs jalons critiques. L’enjeu principal est de faire la preuve de l’efficacité et de la fiabilité de la technologie à une échelle pertinente pour les grands acteurs industriels. Le calendrier de développement est ambitieux, mais clairement défini.
| Phase | Objectif principal | Échéance prévisionnelle |
|---|---|---|
| Finalisation de l’ingénierie | Conception détaillée du démonstrateur industriel | Fin 2024 |
| Construction et assemblage | Fabrication des composants et montage de l’unité pilote | Courant 2025 |
| Lancement et tests | Mise en service du démonstrateur sur un premier site partenaire | Fin 2025 |
| Optimisation et validation | Analyse des performances en conditions réelles et validation du modèle économique | 2026 |
Confiance des investisseurs et vision à long terme
L’engouement des investisseurs s’explique par une double promesse. D’une part, la promesse d’un impact environnemental majeur en s’attaquant aux émissions des secteurs les plus difficiles à abattre. D’autre part, la perspective d’un modèle économique très rentable. Dans un monde où le coût des émissions de CO2 ne cesse d’augmenter via les marchés du carbone, transformer ce coût en une source de revenus devient une stratégie industrielle extrêmement attractive.
Avec les moyens financiers assurés, l’attention se porte désormais sur la proposition de valeur concrète pour les industriels : comment cette technologie peut-elle métamorphoser leur modèle économique ?
Transformer les émissions industrielles en opportunités économiques
L’approche de Dioxycle renverse la perspective traditionnelle sur les émissions de CO2. Historiquement considéré comme un déchet coûteux dont il faut se débarrasser, le dioxyde de carbone est ici envisagé comme une matière première locale et abondante. Cette vision est au cœur d’un nouveau paradigme économique pour l’industrie lourde.
Du déchet à la ressource
Pour un industriel, la gestion du CO2 représente un coût direct et croissant, que ce soit à travers l’achat de quotas sur le système d’échange de l’Union européenne (EU-ETS) ou via des taxes carbone. En installant un électrolyseur Dioxycle, l’entreprise peut non seulement éviter ces coûts, mais aussi générer de nouveaux revenus. Le CO2 émis est capté, transformé et valorisé sous forme de produits chimiques qui peuvent être soit réutilisés directement dans les processus de l’usine, soit vendus sur le marché. Le passif environnemental se mue en actif financier.
Création d’une économie circulaire du carbone
Cette technologie est un pilier de l’économie circulaire appliquée au carbone. Au lieu du modèle linéaire « extraire, produire, jeter » (ici, dans l’atmosphère), Dioxycle propose un cycle « émettre, capturer, transformer, réutiliser ». Ce modèle réduit la dépendance de l’industrie aux hydrocarbures fossiles, qui sont aujourd’hui la source principale de produits comme l’éthylène. Il contribue ainsi à une plus grande souveraineté industrielle et à la stabilisation des chaînes d’approvisionnement.
Analyse économique du procédé
Le calcul économique pour un industriel est relativement simple à poser. Il s’agit de comparer le statu quo avec l’investissement dans la solution de Dioxycle. Le tableau ci-dessous schématise cette comparaison.
| Élément de coût / revenu | Approche traditionnelle | Approche avec Dioxycle |
|---|---|---|
| Coût des émissions de CO2 | Élevé et croissant (achat de quotas) | Nul ou fortement réduit |
| Achat de matières premières chimiques | Coût basé sur les marchés fossiles | Coût réduit ou nul (autoproduction) |
| Nouveaux revenus | Aucun | Vente de l’excédent de produits chimiques |
| Investissement initial | Faible (maintenance) | Élevé (achat et installation de l’électrolyseur) |
| Coûts opérationnels | Standards | Coût de l’électricité et de la maintenance de l’unité |
L’équation devient rentable dès que les gains liés à l’absence de coût du carbone et à la production de produits chimiques dépassent les coûts d’investissement et d’opération de l’électrolyseur.
L’un des principaux atouts de cette approche économique est qu’elle ne nécessite pas de construire de nouvelles usines, mais de moderniser celles qui existent déjà.
Le rôle stratégique du retrofit industriel dans la décarbonation
Pour que la transition écologique de l’industrie soit rapide et efficace, il est impératif de proposer des solutions qui s’intègrent aux infrastructures existantes. C’est précisément la stratégie adoptée par Dioxycle avec son concept de « retrofit industriel », une approche pragmatique qui maximise l’impact tout en minimisant les perturbations.
Moderniser sans reconstruire
Le retrofit industriel consiste à ajouter des modules technologiques de pointe à des installations industrielles déjà opérationnelles. Plutôt que de démanteler une cimenterie ou une aciérie pour la reconstruire de fond en comble avec des procédés bas-carbone, une opération qui coûterait des milliards et prendrait des décennies, le retrofit permet d’agir directement à la source des émissions. L’électrolyseur de Dioxycle est conçu comme une unité modulaire qui vient se « brancher » sur les conduits d’évacuation des fumées. Cette méthode préserve les investissements massifs déjà réalisés par les industriels tout en leur permettant de se conformer aux nouvelles réglementations climatiques.
Une solution « plug-and-play »
L’ambition de l’entreprise est de proposer une solution aussi simple à intégrer que possible. L’idée est de livrer une unité autonome, une sorte de « boîte noire » qui prend en charge le flux de CO2 d’un côté et délivre un flux de produits chimiques de l’autre. Cette approche « plug-and-play » réduit considérablement la complexité d’intégration pour l’opérateur du site, qui n’a pas besoin de devenir un expert en électrocatalyse. Il lui suffit de connecter l’unité aux flux de gaz, à une source d’électricité et aux circuits de sortie des produits.
Valorisation des actifs existants
En prolongeant la durée de vie des usines actuelles, le retrofit répond à un enjeu économique majeur. Il évite la dévalorisation d’actifs industriels et la destruction de capital qui résulteraient d’une transition trop brutale. C’est une voie de décarbonation qui accompagne les entreprises plutôt que de les contraindre à des choix drastiques. Cette stratégie permet une adoption plus rapide et plus large de la technologie, en la rendant accessible à un plus grand nombre d’acteurs industriels.
Cette flexibilité d’intégration rend la technologie de Dioxycle particulièrement pertinente pour les secteurs où la réduction des émissions est la plus complexe à mettre en œuvre.
Objectifs ciblés : vers une application dans les secteurs difficiles à décarboner
Toutes les industries ne sont pas égales face au défi climatique. Certaines, en raison de la nature même de leurs procédés chimiques ou physiques, émettent d’importantes quantités de CO2 dites « fatales » ou « inéluctables ». Ce sont ces secteurs, souvent qualifiés de « hard-to-abate » (difficiles à décarboner), que Dioxycle vise en priorité.
La chimie et la pétrochimie
Le secteur de la chimie est une cible naturelle. Non seulement il est un grand émetteur de gaz à effet de serre, mais il est aussi un consommateur majeur des produits que la technologie de Dioxycle peut générer. Il existe une synergie parfaite : le CO2 émis par un vapocraqueur peut être capté et transformé en éthylène, qui servira ensuite de matière première pour ce même site. Cela crée une boucle de circularité quasi parfaite, réduisant à la fois les émissions et la dépendance aux hydrocarbures importés.
La sidérurgie et la cimenterie
La production d’acier et de ciment est responsable d’une part très significative des émissions mondiales de CO2. Dans ces industries, une grande partie des émissions ne provient pas de la combustion d’énergie, mais du processus chimique lui-même (la réduction du minerai de fer ou la calcination du calcaire). Ces émissions sont donc particulièrement difficiles à éliminer. La technologie de Dioxycle offre une solution pour capter ce CO2 fatal et le valoriser, transformant un problème insoluble en une opportunité de diversification.
Autres industries manufacturières
Au-delà de ces géants industriels, de nombreux autres secteurs peuvent bénéficier de cette innovation. La pertinence de la solution dépend principalement de la concentration en CO2 dans les gaz émis. Plus le flux est pur, plus la technologie est efficace. Les secteurs potentiellement concernés incluent :
- La production de biogaz et de biométhane (où le CO2 est séparé du méthane).
- Certaines activités de l’industrie agroalimentaire, comme les fermentations.
- La production de verre.
L’ambition est donc de fournir une solution adaptable à une large gamme de contextes industriels.
En s’attaquant à ces secteurs stratégiques, l’impact potentiel de cette technologie sur la trajectoire climatique globale est considérable et ouvre des perspectives nouvelles pour l’industrie de demain.
Impact et perspectives : vers une industrie plus verte et durable
Le projet porté par Dioxycle dépasse le cadre d’une simple innovation technologique. Il s’inscrit dans une vision plus large de l’industrie du futur : une industrie qui concilie performance économique et responsabilité environnementale, tout en renforçant sa résilience et sa souveraineté.
Une contribution majeure à la neutralité carbone
En offrant une voie de décarbonation viable pour les secteurs les plus émetteurs, cette technologie pourrait jouer un rôle crucial dans l’atteinte des objectifs de neutralité carbone fixés par les accords internationaux. Chaque tonne de CO2 valorisée est une tonne qui n’est pas relâchée dans l’atmosphère. À grande échelle, l’impact pourrait se chiffrer en millions de tonnes de CO2 évitées chaque année, contribuant de manière tangible à la lutte contre le changement climatique.
Souveraineté industrielle et énergétique
En produisant localement des produits chimiques de base à partir d’un déchet (le CO2) et d’électricité (idéalement locale et renouvelable), l’Europe peut réduire sa dépendance stratégique aux importations d’hydrocarbures. Cette relocalisation des chaînes de valeur est un enjeu de souveraineté majeur. Elle rend l’industrie moins vulnérable aux chocs géopolitiques et à la volatilité des prix des matières premières fossiles, tout en créant des emplois locaux à haute valeur ajoutée.
Le futur de la chimie durable
Dioxycle est à l’avant-garde d’une révolution dans le secteur de la chimie. On assiste à l’émergence de ce que l’on appelle l’électrochimie, où l’électricité remplace la chaleur issue de la combustion comme principal vecteur d’énergie pour les transformations chimiques. C’est le passage d’une chimie basée sur le carbone fossile à une chimie basée sur le carbone recyclé et l’électricité décarbonée. Ce changement de paradigme est fondamental pour construire une économie véritablement durable.
Défis et prochaines étapes
Le chemin vers une adoption massive n’est pas sans obstacles. Les défis techniques liés au passage à l’échelle, la nécessité de garantir la durabilité des catalyseurs sur de longues périodes et la compétitivité économique face à une pétrochimie bien établie restent des points de vigilance. La réussite du démonstrateur industriel en 2025 sera donc une étape absolument critique pour valider la technologie en conditions réelles et convaincre les premiers grands clients industriels de faire le grand saut.
L’initiative de Dioxycle incarne une avancée significative vers une industrie décarbonée. En s’appuyant sur une innovation de rupture, l’électrocatalyse, et un modèle économique pragmatique basé sur le retrofit, l’entreprise propose une solution crédible pour transformer le CO2 d’un fardeau en une ressource. Le lancement de son démonstrateur industriel marquera un tournant décisif, non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour les industries lourdes en quête de voies viables vers la neutralité carbone. Ce projet illustre parfaitement comment l’ingéniosité technologique peut ouvrir la voie à une économie circulaire du carbone, conciliant impératifs climatiques et compétitivité industrielle.
